Seven o’clock
Ce n’est pas le réveil qui me tire du sommeil, mais le klaxon impérieux de la navette de huit heures. Pantalon et polaire enfilés, mes affaires en vrac sur les lits jumeaux, je sors mains dans les poches dans l’air frais. Les rues du village sont calmes, le ciel est pur, pas une autoroute à cinq heures à la ronde.Le chauffeur rigole de me voir si pressé. Derrière moi, la patronne rigole de me voir si pressé. Moi je rigole aussi, et je suis soulagé.
Le chauffeur me dit de décompresser et de m’asseoir à côté de lui, sur le siège de droite à l’avant du car. Il met le contact. La descente merveilleuse vers la civilisation commence.
MC Saint Pierre
MC Saint Pierre est au platines, featuring les clefs du paradis. Jouant avec un art consommé de la pédale douce et de sa table de mixage, il fusionne les dos d’âne et les nids de poule dans une seule et même vibe. Tantôt il scrappe délicatement un passage un peu cahoteux, tantôt il met le jus et franchit des gouffres à la volée, sur un ostinato rythmé de coups de klaxons.Cinq heures durant, je suis sur le dancefloor en place VIP. A 180 degrés devant moi, et sur les côtés en dolby surround, je suis immergé dans une lente catabase.
Si perdus que nous soyons, à plusieurs heures de la ville la plus proche, pas un versant qui n’ait ses rizières, fût-il abrupt ou doux, plan ou crénelé. La grande toison des pins s’interrompt alors et laisse à voir, bordés par une terre rouge, les terrasses régulières des champs de riz ou de légumes.
Sur des pentes plus vertigineuses que Burj Dubaï, elles s’étendent du pied à la cime, escalier à la mesure des géants. Soudain elles prennent possession d’un pan de montagne, et leur base baigne dans les eaux de la rivière rocheuse, et leur sommet embrasse le ciel.
En plans successifs, les plus proches vert franc, les plus lointains grisés de brume, à chaque sinuosité de la route qui s’accroche à la colline tel plan se découvre au méandre suivant de la rivière, tel autre se densifie, acquiert une réalité palpable, révèle ses pentes denses et touffues, tel autre enfin s’évanouit peu à peu pour disparaître au village suivant ; jeu de lumière, jeu de cache-cache.
Pas une perspective, pas un nid de colline où ne se love un petit village, aux mêmes maisons brunes ramassées près les unes des autres. On les traverse parfois ces villages, dans la lumière vive du matin, et quelques passagers montent ou descendent. Les rizières proches montrent alors comme elles sont hautes et quel travail épuisant il a fallu pour élever la moindre d’entre elles. Quand on s’éloigne à nouveau, les étages infinis qui marquent chaque colline me sidèrent : combien de siècles et d’hommes, quel travail de fourmi pour tirer prospérité du terrain le plus hostile ?
Le soleil levant joue à se refléter dans l’eau qui nappe les champs (quel réseau d’irrigation ?) ; scintillement, profondeur d’un miroir, ou terres d’ombres.
Ces rizières sont une image de la Chine. Celle de l’imposition, par un travail fastidieux mais sans relâche, d’une loi humaine aux choses de la nature ; celle du nombre indénombrable – 1,3 milliards, combien de brins de riz ? – fondu, selon un geste commun, dans la nation chinoise, dans le peuple d’ondulation de ces lignes qui embrassent la montagne. Tous pêle-mêle selon la même loi, rassemblés tous dans un unique geste cosmique, chacun désordonné mais tous selon la même voie.
Je regarde et je m’émerveille.