Je croise une petite Dong qui pleure. Le ciel se fronce et s’obscurcit de nuages. On ne peut pas arrêter la petite. Beuglante elle mène à travers le village de Tang’an la famille dans son sillage. Quand je croise le convoi processionnel, la grand-mère en appelle à moi, le laowai et mes tablettes de grand médecin. Je fais donc le méchant étranger, aux sourcils sévères, à la voix grave et lourde de reproches, et la petite (étonnement ? simagrée ? fierté ? un peu peur quand même ?) arrête ses pleurs. Je devrais créer un numéro vert, du genre de SOS détresse amitié : « 1,20€ la minute pour calmer la marmaille. » La grand-mère me sourit d’un large sourire aux dents blanches.
Sur la place du village, devant l’unique tour du tambour, les femmes lavent fruits et légumes, comme des lavandières en rond autour d’une mare.

Le ciel est libre de nouveau ; déjà le soleil se couche au loin dans les montagnes. Les plus distantes ne sont qu’une coloration grise du ciel. Au pied du village de Tang’an, les rizières descendent la vallée jusqu’à Zhaoxing dont on devine le désordre des toits. On a allumé des feux pour la cuisine, on discute sous les toits; un vaste murmure monte de la place du village. Dans la clarté rose et orangée qui baigne à présent le ciel, je m’assieds sur un promontoire, et j’épépine des clémentines de Tsong-ts’iang dans la grande clameur du soir.

Sous cette clarté obscure

Je redescends sur Zhaoxing à la nuit tombée. Une femme Dong, en beaux habits de couleur, me demande si j’ai dîné, et malgré mes dénégations m’ouvre un sac plastique plein de riz et me le tend. Je refuse plusieurs fois, puis j’en prélève une pincée et remercie du fond du cœur, propose mes clémentines – on me dit non merci et nous nous séparons.

Une mère et ses enfants cheminent devant moi ; ils prennent les petits chemins d’un pied sûr, lent – moi je cravache sur la route sinueuse. Quand je les rattrape enfin, nous échangeons quelques mots sur la métaphysique des chemins de traverse.

Ciel clair. C’est la première fois depuis des mois que je vois les étoiles. Je les regarde longuement à plusieurs reprises, interrompu par les phares et le boucan d’un camion qui remonte ou d’une moto qui descend au village, dans le cliquetis de ses roues libres…

Cinq tours, cinq vertus, cinq éléments

Je dîne dans un boui-boui ; mes Français, qui passaient là justement, me souhaitent la bonne soirée. Les tours du tambours se sont remplies de rires et d’animation : sous chacune, un grand feu, autour duquel les hommes sont réunis, surtout les vieux.

Sous la tour du sens de l’humain, on pousse les jetons sur l’échiquier ; celle du sens de la justice est éclairée mais laissée seule ; sous celle des rites, on raconte des histoires Dong au magnétophone ; sous celle du discernement on discute ; et celle de la confiance je la manque…

Ce village est sous le signe d’un monde en miniature décidément : l’eau des mares, des champs et des canaux, le feu au pied des tours, le fragile bois des maisons magnifiques et la terre comme richesse à cultiver ; seul le métal manquait, et voilà les devises qui affluent.

M’enfin, les cinq éléments, quelle satisfaction de les échanger pour une chambre chauffée !

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