Le chat de Schrödinger, s’il avait eu les moustaches plus fines, la face de la physique aurait changé. Et si les routes chinoises avaient été plus planes, les fesses de votre serviteur en fussent sorties moins fermes. Preuve en dix heures de car de l’erreur de Schrödinger.

Vers Rongjiang

Ce chapitre de mes Carnets du Guizhou commence par une fourberie. Suis-je trop 善良 ? Après quatre mois en Chine, je fais toujours confiance… Comme je m’enquiers du premier car à partir pour Rongjiang (溶江, prononcer “Jong-tsiang”), étape intermédiaire de cette journée, la guichetière aussi désabusée que l’Aurore est aux doigts de rose me fait signe d’attendre à l’extérieur et de héler au passage le bus pour Rongjiang.
Sur ce, un chauffeur free-lance me happe. Son bus pour Rongjiang part dans dix minutes. Confiant je monte. 25 minutes passent. Comme je m’impatiente deux voyageurs montent eux aussi. Dix minutes encore. Devant la gare, un bus plein à craquer passe dans la direction de Rongjiang.
Mes deux potes se cassent. Je descends aussi. Le chauffeur m’explique qu’ils sont partis acheter des fruits (les clémentines de Rongjiang sont excellentes). Il me dit que le bus ne part pas dans dix minutes mais à dix heures en fait, dans trois quarts d’heure. Je ne sais même pas s’il a voulu m’entourlouper.
Je vais moi aussi « acheter des fruits ». Une livre de clémentines pour 1 kuai (0,1€), le bol de nouille canonique, un ave, un pater, et sur le trottoir devant la gare routière je retrouve mes deux comparses. Le bus démocratique pour Rongjiang passe presque aussitôt. Je m’assieds à la dernière place libre. 4 heures de route démarrent en trombe.

La physique du martini

La théorie du transport fait soudain place à la pratique. Et c’est douloureux. Les souvenirs de mon premier passage sur le fauteuil du dentiste remontent de profondeurs insoupçonnées. Au bout de dix heures de car certifiées, un quart des 40 qui m’attendent, je passe le brevet A. Et l’examen fait mal.
Au mieux la route est cahoteuse et le car nous balance incessamment, au rythme chaloupé d’un quatuor (pour hélicoptères) de Stockhausen. Mais par endroit le bitume inégal le cède à la poussière brute, toute en dos de poule et en nids d’âne (ou l’inverse, je ne sais plus); nous sommes secoués comme le shaker du barman de James Bond quand il l’agite  pour faire un martini.
Et bien c’est là que Schrödinger, s’il était venu par ici, aurait vite fait de remiser son chat dans un coin de l’esprit près d’un bol de leucocytes.
A la manière de la Rolex de Pythagore et de la baignoire de Sarko, le chat de Schrödinger fait partie des images ineptes qui tirent leur succès du fait que tout le monde, mais tout le monde, les cite. Il n’y a pas un élève de physique quantique dont le premier cours n’ait été consacré au chat de Schrödinger. Un peu comme si tous les profs de philo de la Terre consacraient immuablement leur premier cours à la brosse à dents de Kant, et les profs de techno aux casques des Daft Punk.
Faut en finir avec ça.

Schrödinger au pilori

Schrödinger met son chat dans une boite noire, à côté d’un dispositif tueur (ampoule de cyanure) se déclenchant avec probabilité un demi. Il en déduit que jusqu’à ouverture de la boite, et faute d’information pertinente, le chat est simultanément mort et vif.
Il n’y a qu’un pas de là aux atomes, ils sont à la fois ici et là, en déplacement et à l’arrêt, intacts ou désintégrés, immanents et transcendentaux (ce qui est un moyen aisé pour les différencier de la morale kantienne, ne l’oublions pas).
Mais en fait ça ne marche pas. Outre le fait qu’un chat dans une boite noire miaule (Schrödinger avait-il laissé son lave-linge en marche pendant l’expérience?), quatre heures de car chaotique 1) détruisent les fesses 2) permettent de refonder la physique moderne sur des bases saines.
Etant donné les cahots C de la route, l’heure H à laquelle un passant X de nationalité Y posté en un endroit Z verra passer le car en se grattant le point Q est donc une distribution de probabilité, qui correspond à une fonction d’onde… étonnant, non?
A l’instant où je réalise que la réussite de mon voyage dépend d’une fonction d’onde, je me dis que je ne suis pas rendu. L’exemple du chat n’était pas si mal en fin de compte : tant que mon car arrive à bon port,  la pauvre bête peut bien osciller entre vie et mort aussi longtemps que la physique quantique sera enseignée.
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