Les Cinq Doges de Zhaoxing

Je l’avoue, j’avais peur. C’est le premier endroit touristique où je mets les pieds depuis un bout de temps. Effectivement, touristique, ça l’est : des boutiques de souvenirs et restaurants dans toutes les rues, des rabatteurs qui veulent t’attirer dans leur hôtel à gogos. J’échange quelques mots avec un couple de Français bien courageux : la cinquantaine, ils étaient dans le même bus que moi ; depuis cinq ans, chaque année ils passent un mois sur les routes de Chine…

Une nuit ici suffira, c’est sûr, mais quel charme ! La ville est bâtie autour d’une rivière, dont les deux bras forment deux canaux entre les demeures de bois. Du linge de couleur pend aux fenêtres, sur un dispositif ingénieux : une barre parallèle à la façade repose sur deux barres perpendiculaires plantées dans le mur.

Cinq clans Dong se partagent Zhaoxing, à chacun sa « tour du tambour » (鼓楼), à  chacun sa vertu cardinale : le sens du juste (yi, 义), le sens de l’humain (ren, « jen », 仁), le sens des rites (li, 理, LI si Anne Cheng lit ce message !), le discernement (zhi, « tcheu », 智) et la confiance (xin, « sin », 信). Sur une base de quatre piliers de bois, elles s’élèvent en étages en une dizaine de niveaux à quatre, six ou huit côtés, tels les pans d’une grande robe à crinoline.

Les bandes blanches sont peintes de toutes sortes de scènes:

Je déambule le long des canaux, d’une tout l’autre, jusqu’aux rizières qui ceignent le village et s’étirent dans la vallée. Harmonieux potagers également, où poussent élégiaquement salades, poivrons, colza, soja, pour garnir les étals fournis des maraîchers sur la rue principale.

Je recroise mes Français près d’une vieille femme qui bat un tissu indigo à l’aide d’une masse. C’est, me dit-elle, pour que son envers prenne un aspect soyeux. Dans tout Zhaoxing, le bruit sour et régulier des masses rythme la tombée du soir.

Montée vers Tang'an

Plus haut dans la montagne, le village de Tang’an (堂安) surplombe la vallée et ses rizières. J’y monte doucement. Je suis sans cesse dépassé par des motos, des minibus, et même des cars et de gros camions. Un coup de klaxon impérieux vient rappeler la loi du plus fort.

Je fais une pause dans un petit village où je redeviens gamin. C’est un moment exceptionnel dans la vie d’un économiste, homme sérieux et terne par excellence. Je blague avec des mômes – en fait ils se moquent de mon accent, et moi du leur. Enfin ça rit beaucoup. En-dessous de nous, une femme Dong lave longuement des habits, dans une bassine remplie d’eau qu’elle a puisée dans la mare voisine.

Peu après, un détail subtil réveille mon instinct sherlockholmesque et m’apprend que je ne suis pas le premier touriste à Tang’an : à droite de la route, un panneau de bois pointe vers un chemin qui mène au village plus directement que la grand-route. Ascension. Puis : très beau village en bois n°12.

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