Les langues, comme l’écolier peu studieux, ont une tendance naturelle à la facilité: les sons ne sont pas tant définis dans l’absolu qu’en relatif. Ainsi, certains groupes de lettres se définissent par opposition les unes aux autres; et en dehors des caractéristiques sur lesquelles jouent ces oppositions, les locuteurs sont assez libres de prononcer ces lettres à leur guise. Il est d’autant plus important de comprendre quelles distinctions sont importantes.

Dans la suite, je note « b » une lettre en Français ou en Chinois et [b] sa prononciation dans l’alphabet phonétique international. Il se trouve que le symbole pour les occlusives dont je parlerai ici est la lettre française correspondante (ce qui n’est pas le cas pour le Chinois!).

Pour rappel de l’article précédent :
– consonne voisée : les cordes vocales vibrent (mettez-vous la main sur la gorge); contraire: consonne sourde.
– consonne aspirée : mettez la main devant la bouche et vous sentez un flux d’air brusque.
– le voisement et l’aspiration sont deux caractéristiques possibles d’une consonne occlusive (l’air est stoppé puis libéré).

L’exemple du Français

Commençons par un exemple pour éclaircir ce premier point des distinctions importantes : le Français a trois paires de consonnes occlusives, qui sont (« b », »p »), (« d », »t ») et (« g », »k »). Dans chacune de ces paires, la première est voisée, et la seconde est sourde. Ce trait distinctif est très important : un Chinois, qui a beaucoup de difficulté à faire la différence, prononcera souvent « gâteau » et « cadeau » de la même façon. En revanche, en dehors de ce voisement, différents locuteurs prononcent ces paires de consonnes de manière légèrement différente.

Ainsi, nous avons trois catégories d’occlusives (selon le lieu d’articulation), chacune composée d’une consonne voisée (où les cordes vocales vibrent) et d’une consonne sourde. Aucune n’est aspirée :

  • deux bilabiales : « b » (voisée, non-aspirée) et « p » (sourde, non-aspirée), qui se prononcent avec les deux lèvres;
  • deux dentales : « d » (voisée, non-aspirée) et « t » (sourde, non-aspirée), qui se prononcent avec la langue sur les dents;
  • deux vélaires : « g » (voisée, non-aspirée) et « k » (sourde, non-aspirée), qui se prononcent avec le milieu de la langue en contact avec l’arrière du palais.

Les occlusives chinoises

De même, le Chinois a trois paires d’occlusives (et une paire de c***) ; seulement, la différence entre les deux éléments d’une même paire n’est pas le voisement, comme en Français, mais l’aspiration. Coup de bol, ce sont les mêmes paires d’occlusives: deux dentales, deux bilabiales et deux vélaires.

Et de même qu’en Français toutes les occlusives sont non-aspirées, en Chinois elles ont toutes non-voisées (sourdes). On a donc les paires de sons suivants (« h » en exposant note l’aspiration) :

  • [p] (sourde, non-aspirée) et [ph] (sourde, aspirée)
  • [t] (sourde, non-aspirée) et [th] (sourde, aspirée)
  • [k] (sourde, non-aspirée) et [kh] (sourde, aspirée)

On peut donc classer les occlusives françaises et chinoises selon leur voisement et leur aspiration:

SourdeVoisée
Non-aspiréeFrançais : [p], [t], [k]
Chinois : [p], [t], [k]
Français : [b], [d], [g]
AspiréeChinois : [ph], [th], [kh]

Représentation graphique
En fait, c’est un chouïa plus compliqué, car il est très difficile de prononcer une consonne occlusive à la fois sourde et non-aspirée (essayez un peu de ne pas souffler en disant un « d »). Le Français et le Chinois réagissent de manière légèrement différente.

Comme un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, je vous propose de situer les occlusives françaises et chinoise sur un graphique, en fonction de leur aspiration et de leur voisement.

Il est difficile de prononcer une consonne à la fois sourde et non-aspirée (il faut bien qu’un organe produise le son d’occlusion !). En Français, ce qui importe est l’opposition consonne voisée/consonne sourde. Donc, il est très important que la consonne voisée soit la plus voisée possible et la consonne sourde la plus sourde possible. Nous prononçons donc les consonnes sourdes de manière légèrement aspirée : nos « p » sont souvent suivis d’une brève expulsion d’air.

En Chinois, c’est l’opposé: l’important est l’aspiration. La consonne aspirée doit être la plus aspirée possible, et la consonne non-aspirée la moins aspirée possible. Les Chinois prononcent donc les consonnes non-aspirées de manière légèrement voisée :  leurs [p] sonnent un peu comme des [b].

Pour nos oreilles de francophones, qui ont beaucoup de mal à entendre les aspirations (car le Français, rappelons-le, n’en a pas !), il est difficile de distinguer la consonne [ph] (que nous entendons [p], comme le « p » français) de la consonne [p] (que nous entendons tantôt comme un « p » français, tantôt comme un « b »). En face de nous, le locuteur chinois voise parfois les consonnes sourdes, et parfois pas, mais il n’y fait pas attention, car seule l’aspiration importe pour lui. De notre côté, c’est source d’une grande confusion.

Conclusion pratique

Pour des questions d’économie de notation, le Chinois, dans sa transcription alphabétique (pinyin) a repris les couples (« b », »p »), etc. Cependant, « b » ne se prononce pas [b] et « p » ne se prononce pas [p]. L’idée derrière la notation est de recréer les paires d’occlusives. Seulement, l’opposition ne porte pas sur le voisement mais sur l’aspiration. Le « b » se prononce dont [p] et le « p » se prononce [ph], et de même pour le couple (« d », »t »), qui se prononce ([t],[th]), et le couple (« g », »k »), qui se prononce ([k],[kh]).

Nous pourrions inventer une notation « ħ », signifiant « faire un effort pour que la consonne ne soit pas aspirée »: marquer autant que possible la différence entre consonne aspirée et non-aspirée. On aurait alors les prononciations suivantes :

BilabialeDentaleVélaire
Non-aspirée« b » : [p] ou [b]« d » : [t] ou [d]« g » : [k] ou [g]
Aspirée« p » : [ph]« t » : [th]« k » : [kh]

Il faut donc s’exercer l’oreille et l’élocution à entendre et distinguer l’aspiration: penser en termes d’occlusive aspirée ou non-aspirée et non d’occlusive voisée ou sourde. Voici un schéma récapitulatif, pour mémoire, qui positionne, en Français et en Chinois, les consonnes occlusives en fonction des deux paramètres importants: en Chinois l’aspiration et en Français le voisement.

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