L’empire qui fait trembler la Chine

L’apogée du Tibet est brève, mais elle fait trembler l’Asie. En 650, l’empire que laisse derrière lui Songtsen Gampo, le grand Empereur, ne demande qu’à s’étendre. Pendant plus d’un siècle, alternativement, il gagne et perd du terrain devant les puissants Turcs et Chinois.

A sa tête, une dyarchie un peu spéciale: Gar Tongtsen, le Premier ministre de Songtsen Gampo, s’est lui aussi fondé une dynastie de Premiers ministres. Les deux dynasties se transmettent parallèlement; ce n’est pas de trop pour mener de front tant de batailles aux confins d’un empire vide et démesuré.

C’est l’Asie tout entière qui est en guerre. A Sud, l’infranchissable Himalaya; à l’Est, la Chine; au Nord, les Turcs; et à l’Ouest, la jeune dynastie des Omeyyades. A la fin du VIIè siècle, la Chine (l’impératrice Wu) cherche à contenir l’expansion tibétaine et à reprendre le contrôle sur la Route de la Soie (celle-ci passe au Nord du Tibet, dans la vallée du Tarim). La Chine s’allie donc aux Omeyyades pour affronter le Tibet et les Turcs.

Le Tibet est vaincu et doit se replier. Les Gar (famille du Premier ministre) sont jugés responsables. En 699, après quelques affrontements militaires, les Gar doivent quitter le Tibet – et rejoignent les postes-frontière chinois…

Le Tibet se heurte à l’apogée chinoise (700-750)
Le Tibet est affaibli au Nord, mais il s’est renforcé au Sud-Est: il a soumis le Royaume du Nanzhao (à l’emplacement de l’actuel Yunnan chinois), ce qui lui permet de contrôler à présent le commerce de la Chine vers le Sud.

Parallèlement, la Chine connaît elle aussi son apogée: nous sommes sous la dynastie des Tang (618-907), sans doute l’époque la plus florissante de la culture chinoise. C’est à cette époque que vit Wang Bo (650-676), dont je vous ai proposé une traduction d’un très beau poème sur l’adieu; plus tard viendront Li Bai, le Prince des poètes, Du Fu, Wang Wei… Peinture, porcelaine, musique sont également florissants.

Tant que la Chine reste aussi  forte, le Tibet l’attaque en vain; mais il la fait trembler. L’Empereur de Chine Zhongzong accepte même de donner sa fille adoptive, la belle Jinzheng, aux « barbares » tibétains. A cette époque, c’est la mère de l’Empereur du Tibet qui tient le pouvoir; à sa mort, Zhongzong envoie une mission de funérailles sur le haut plateau.

Dans la première moitié du VIIIè siècle, la fortune semble sourire au Tibet, qui attaque la région du Kokonor et pose un pied sur la route de la Soie. Mais l’Empereur ne parvient pas à en chasser les Chinois. En 750, la fortune tourne à l’avantage de la Chine, et l’Empereur Xuanzong, allié aux Turcs (qui craignent la progression des Omeyyades) chasse les Tibétains du Tarim (où passe la Route de la Soie).

L’Empire tibétain à son zénith (750-800)
Mais soudain, tout change. En 751, un chef Turc se retourne contre les Chinois et les repousse du Tarim. Au même moment, la situation intérieure chinoise tourne au cauchemar: en 755, un grand général chinois (An Lushan) se révolte contre l’Empereur. La Chine dégarnit ses frontières pour répondre à la menace intérieure.

Le nouvel Empereur du Tibet, Trisong Detsen, va le conduire à son apogée. Il s’engouffre dans les brèches laissées par la Chine et conquiert l’immenses territoires au Nord. Les troupes tibéto-turques marchent même sur Xi’an, la capitale de la Chine et la mettent à sac en 763. Rien ne semble pouvoir arrêter les armées tibétaines.

La Chine s’allie aux Ouigours (des Turcs, au Nord du Tibet), au Nanzhao (au Sud-Est) et au califat abbasside de Bagdad (à l’Ouest) pour contenir l’élan Tibétain, mais rien n’y fait. L’Empire du Tibet a conquis Turfan, Dunhuang, Hotan et l’imprenable Besbhalik.

Effondrement (IXè siècle)
Trisong Detsen meurt en 798. Des luttes d’influence deviennent apparentes entre les nobles et les tenants du bouddhisme. A peu près simultanément, les Empereurs de Chine et du Tibet répriment violemment un bouddhisme devenu dangereusement puissant. Un traité de paix est signé en 822, qui reconnaît les frontières respectives de la Chine et du Tibet:

« Cet accord solennel ouvre une grande époque, où les Tibétains seront heureux chez eux, et les Chinois, sur la terre de Chine. »

Le Tibet étant en proie aux troubles intérieurs, son autorité fondée sur un pouvoir absolu et sans partage s’effrite. Dunhuang se révolte en 848. Puis, le Tibet perd le Turkestan (Tarim, Route de la Soie) en 860 et le Népal en 879. Les armées tibétaines, que ne motive plus la gloire et le pillage, se dissolvent progressivement.

L’Empire tibétain s’effondre sur lui-même et sombre dans un long sommeil, qui va durer jusqu’au XIè siècle.

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