Des rapaces, aux ailes en W, planent au-dessus des ruines. Les temples eux-mêmes sont invisibles, cachés derrière les palmiers et les bananiers luxuriants. Un vent tiède souffle et trouble la mer bleu clair.

Je marche sur le sable blanc; à mes pieds les rouleaux déferlent. Le soleil disparaît, l’eau se colore.

Je bute sur une noix de coco; sous le doux crépuscule, je m’assieds au pied des ruines, face à la mer, face aux Antilles, face à la barrière de corail.

Tulum et les Mayas
Pendant plusieurs millénaires, et jusqu’à la conquête espagnole, les pirogues mayas ont descendu cette côte en convois, chargés de miel, de plumes, de jade et d’obsidienne, passant sous les murs de Tulum, « les murs », forteresse aux pieds dans l’eau.

Il n’y a pas eu d’empire Maya proprement dit: contrairement aux Aztèques et aux Incas, deux empires centralisés, la civilisation Maya est restée divisée entre des cités-Etats, qui partageaient le même système d’écriture et les mêmes grands traits culturels, un peu comme la Grèce antique.

Il n’y a pas eu d’empire, il n’y a donc pas eu d’effondrement brutal.

L’âge pré-classique Maya s’étend conventionnellement de -2500 à 250, l’âge classique de 250 à 900: les cités-Etats de premier ordre sont Calakmul (sud-Yucatan) et Tikal (Guatemala), suivis par Palenque (dans le Chiapas), où j’ai aussi été, et Coban (Honduras). A son apogée, la civilisation Maya s’étend sur toute la péninsule du Yucatan, et jusqu’au Guatemala, au Belize et au Honduras.

Puis, vers 900, déclin soudain, pour des causes débattues. La civilisation Maya ne disparaît pas totalement, mais se perpétue dans la pointe du Yucatan, sur les sites du Chichen Itza, de Uxmal, de Coba. Et de Tulum.

Tulum est une cité tardive, donc, et qui n’a jamais été très puissante. Elle contrôle le commerce le long de la « Riviera Maya », mais elle n’accède jamais à un statut de premier plan.

En 1518, on avise d’étranges embarcations aux voiles blanches, qui passent au loin sans s’arrêter et consignent, dans leurs journaux de bord, une « ville semblable à Séville », où brille un feu sacrificiel. L’expédition de Juan de Grijalva, partie de Cuba voisine, vient d’apercevoir Tulum.

Un an plus tard, Hernan Cortez part à l’assaut du Mexique, avec 11 vaisseaux, 500 hommes, 13 chevaux, et une soif insatiable d’or et de conquêtes. La suite est connue: en s’immisçant dans les rivalités internes des Aztèques – qui règnent sur le Mexique central – ces dieux aux armes de tonnerre mettent fin, en quelques mois, à un empire stable et florissant.

Les Aztèques s’effondrent d’un coup; mais les Mayas, aux terres pauvres et divisées parmi de nombreuses cités-Etats, survivent pendant plusieurs siècles, tandis que les conquistadors partent à l’assaut du Pérou.

Marcher dans un instantané
Tout est clair dans ces lieux; rien de voilé ou brumeux, rien qui se cache. Ruines en granite gris, massives et rectangulaires; l’éventail des palmiers; le dégradé de la mer, du bleu profond du large à celui clair du rivage, et les vagues blanches mêlées de sable.

Ce qui fascine, ou me fascine, c’est l’impression d’avoir pénétré dans un instantané, comme chez Marguerite Yourcenar le peintre emprisonné, qui peint la mer et s’évade dans son tableau.

La Grèce et Rome, la Chine ancienne, le Califat, tout cela vit encore, via les cultures qui en descendent. Leurs langues sont encore celles de peuples riches. Ceux qui les ont conquis, des barbares, en ont repris la culture.

Mais les Mayas sont sans descendance flamboyante. Leurs petits-fils sont toujours là, dans les collines boisées du Chiapas, mais ils sont pauvres et marginalisés par le nouveau Mexique. La langue s’est effacée; dans l’espace de quelques années, les Mayas ont disparu, et leurs vestiges ont fait face à la mer, figés, morts, abandonnés.

Le temps a passé, la végétation a recouvert les lieux; puis dans notre passion moderne du passé, on a trouvé ces ruines – « découvert » comme on retrouve, après un décès, dans un vieux carton au grenier, des photos pâles et jaunies.

Je marche devant ces cubes de granite, ces fresques mutilées, ces palmiers débordants, cette mer d’un bleu pur, et j’imagine sans trop comprendre.

C’est comme un décor de théâtre – des ruines pour une tragédie, des ruines en tant que ruines à visiter, dans ce cadre de carte postale. On a placé le Colisée sur une plage napolitaine. Quelle part de ce que je vois vient des Mayas, et quelle part tient de notre goût moderne?

Le carré de plage au pied des rochers est bondé, la mer pleine de rires, les groupes d’Allemands procèdent, kolossale Kultur, j’écris ces lignes à l’ombre d’un bosquet de palmiers.

Je me dis, quitte à opprimer son peuple et massacrer ses voisins, autant le faire d’ici que de Londres ou Pékin.

Un vieil iguane s’arrête et me zyeute flegmatiquement. Ça fait un manche qu’il snobe la crème anti-rides et les reflex à téléobjectif. Et, sincèrement, il préférait la mode des chapeaux à plume, ça en jette plus que mes baskets.

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