Visite impromptue chez les gorilles

Réveil 6h30 à Kisoro, ville-frontière ougandaise, et je découvre que l’Ouganda se lève une heure plus tôt que le Rwanda.

A 7h (donc en fait 8h…) je suis à l’office du tourisme. Il faut habituellement réserver des mois à l’avance pour obtenir un permis pour aller voir les gorilles. Je m’informe; je suis le seul à être venu ce jour-là et les guides sont donc encore au camp de base: si je confirme tout de suite, je verrai les gorilles ce matin.

C’est moitié prix en mai (350$); je n’ai rien d’autre à faire de la journée; je dis OK. Je règle, mon hôtel me fait un casse-croûte et je pars en moto-taxi pour le camp de base du parc Mgahinga, dans le massif des Virunga.

A travers la jungle

Après un demi-heure bucolique entre des collines verdoyantes étagées de champs en terrasse, après avoir traversé quelques villages, la route de terre s’arrête au pied du volcan Muhabura. Je monte quelques centaines de mètres et le guide m’attend dans une cahute avec ses aides armés d’AK47.

Les traqueurs sont au travail depuis 6 heures du matin. Après un rapide topo sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, nous partons d’un bon pas sur le chemin qui sert également à l’ascension du volcan Muhabura. La vue est dégagée et seule la pointe est dans les nuages. Le chemin monte dans la végétation épaisse.

Les deux heures qui suivent sont sportives: les guides quittent le sentier et suivent une trace qui s’enfonce dans les fourrés et les sous-bois. Par moment nous suivons des sortes de pistes; mais le plus souvent nous marchons à travers les taillis éclaircis à coups de machette. Par chance il n’a pas plu récemment, mais le sol reste gorgé d’humidité. A flanc de volcan, la terre meuble s’effrite sous les pieds et il faut se raccrocher aux lianes et aux racines.

Par endroits, les trombes d’eau ont découpé des marchés de géant dans la pente, qu’il faut escalader. Parfois des taillis trop épais coupent la progression, ou des replis de terrain trop abrupts, et il faut les contourner. Malgré le beau soleil la forêt reste sombre et mystérieuse. Dans l’ensemble c’est rigolo – en ajoutant à cela l’attente du moment où les gorilles apparaîtront.

Les guides se repèrent d’abord par talkie-walkie, puis en criant à l’adresse des traqueurs. Nous les rejoignons dans une clairière: ils sont quatre, ce qui porte à huit personnes notre équipée. Je bois quelques gorgées d’eau et je les suis vers le groupe des gorilles.

Face aux gorilles

Il y a dix gorilles dans le groupe, dont quatre individus matures à dos argenté (silverback), deux adolescents et un gorillon d’un an; le plus vieux a quarante-huit ans. Pas de garantie sur ce que je suis sensé voir, pas d’approche à moins de 7 mètres, pas plus d’une heure: voilà tout ce qu’on m’a dit.

A ce moment précis je ne sais qu’attendre. D’un côté cette gorillo-mania qu’on constate en googlant « visiter Rwanda » ou « visiter Ouganda » me laisse froid; j’ignorais même que les gorilles des montagnes étaient au bord de l’extinction et que les quelque 500 survivants vivaient sur les pentes du massif des Virunga. Plus bien sûr le coût prohibitif, qui semble plus une conséquence de l’équilibre offre-demande pour riches oisifs que du coût ou de la qualité de la chose.

J’ignorais également l’histoire de Dian Fossey, l’Américaine qui a vécu plus d’une décennie dans les Virunga et a permis la protection des gorilles – son incroyable combat contre les braconniers, contre les éleveurs, contre les autorités et contre les touristes sans gêne est raconté dans son livre Les Gorilles dans la brume.

D’un autre côté, je me trouvais là, au milieu de l’Afrique, dans le rift albertin, au coeur d’une épaisse forêt à flanc de volcan. A dix heures de la grande ville la plus proche. Au point de rencontre de trois pays africains inconnus. Totalement seul comme Blanc et pourtant en sécurité avec mon équipée de guides et de traqueurs. Après deux heures de marche sans logique apparente dans la fraîcheur des sous-bois.

Et soudain, dans le coude d’une clairière, une forme énorme, hirsute et tranquille assise contre un massif de bambous. A trois mètres de nous, sans hâte, le gorille engloutit son déjeuner, branche après branche, se tourne et se retourne, s’allonge, se dresse sur ses bras longs, le cul en arrière, se rallonge, baille, pète, s’étire, se gratte le front d’un air pensif et s’étend au soleil.

Dans l’heure qui suit, nous passons le groupe en revue, du mâle dominant au gorillon qui sautille. Les gorilles du groupe sont éparpillés (la nourriture est rare dans la zone) et nous crapahutons de l’un à l’autre.

Massifs quand ils s’asseyent pour manger, ils soulèvent ce corps énorme avec facilité et bondissent à travers les taillis. Les adolescents courent entre les adultes. Nous les suivons avec peine dans les pentes glissantes.

Au bout d’une heure le mâle dominant se tambourine le torse et le groupe se rassemble pour migrer vers une zone plus abondante en nourriture. Nous prenons la route du retour en rejoignant rapidement les marchés du sentier d’ascension du volcan.

Cela valait-il 350$? Rien de commun, en tous cas, entre un zoo stérile et le frisson de les découvrir dans la touffeur de leur milieu naturel et de jouer au petit explorateur l’espace d’un matin.

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