J’ai tardé à publier cette troisième étape de ma randonnée autour de la presqu’île de Crozon, à la pointe Ouest de la Bretagne, après une première journée de marche du Fret à Camaret, suivie par une journée sur la magnifique île de Sein. La première journée m’avait donné l’une des rares insolations de mon existence – comment se tenir sur ses gardes, dans l’air frais de la Bretagne? Je m’en étais remis par une escapade à l’île de Sein, ce morceau de terrain disloqué, battu par les vents entouré d’écueils et d’une mer houleuse.

Après cette pause je reprends ma marche pour deux jours de randonnée qui me font traverser une Bretagne sous son jour le plus merveilleux: entre terre et mer, entre grand soleil et bourrasques tempétueuses, entre rochers, bruyères et longues plages. Un territoire de l’entre-deux, instable et mouvant sans cesse, tension entre les contraires, conflit pur des éléments. Un monde héraclitéen: non pas décrit par un état figé, mais régi par le combat des contraires.

Je replie ma tente, je fais le plein d’eau, et je prends un café au village de Camaret avant de me mettre en route. Camaret a un peu de la fractalité du chou romanesco: à l’image de la presqu’île de Crozon qui est en forme de croix dirigée vers la mer, Camaret se divise aussi en trois pointes, vers le Nord, l’Ouest et le Sud.

Au-dessus de l’anse de Pen Hat, entre les points Ouest et Sud, je monte vers un manoir en ruines.

C’est là que s’est retiré le poète symboliste Saint-Pol-Roux. Il y a reçu André Breton, Céline, Victor Segalen, ou Max Jacob. La bibliothèque a été pillée par les Allemands, et le manoir détruit par les bombardements anglais.

Il n’en reste que quelques tours et pans de murs qui surplombent l’océan comme une ruine de temple grec.

Ma route me mène ensuite vers un autre manoir; lui le temps ne l’a pas trop affecté, et il reste sentinelle des flots, avec la vigilance d’un soldat qu’on aurait oublié de démobiliser. Avec le temps, les murs de béton et leurs angles droits ont acquis la poésie du contraste, face à la mer tout en mouvement et en rondeurs.

Les méandres de la côte rocheuse me lâchent sur une longue plage. La marée est basse et de nombreuses barques sont à l’échouage. Il me faut près d’une heure pour la longer dans le sable humide.

La côte rocheuse qui lui succède, vers la pointe de Dinan, est fantastique: solitaire, aérienne, découpée. Je mange mon casse-croûte sous l’oeil goguenard d’un gros goéland – ce sont les vaches du coin. Du pain, du saucisson, des fruits secs.

Ma route de l’après-midi me mène ensuite au « château de Dinan »: une île rocheuse reliée au continent par une arche de pierre. Les dimensions sont colossales, l’ouvrage est digne de titans, loin en bas des vagues qui paraissent naines rongent la roche.

Avec l’après-midi un crachin s’installe; bientôt une humidité diffuse tombe continûment et s’infiltre dans les habits. Ca ne décourage pas les surfeurs qui rament dans l’eau glaciale.

Le lendemain matin, les éléments sont plus paisibles autour du cap de la chèvre et jusqu’à Morgat que je rejoins pour une crêpe déjeunatoire. Mais je garde surtout le souvenir de cette lande détrempée, de ces vents battants, de cette mer intense, un weekend de 14 juillet sur la presqu’île de Crozon.

Vous pouvez accéder aux articles contigus de ce carnet:<< Qui voit Sein voit sa fin

Cet article a 2 commentaires

  1. Laurent

    super rando, les photos en noir et blanc donnent vraiment un style

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