Quyuan (屈原, prononcer « Tchu-yuan ») fut ministre et poète dans le Royaume de Tch’ou (楚), au IIIè siècle avant notre ère.

Quyuan est un homme droit et loyal. Le pouvoir du Royaume voisin de Qin ne cesse de grandir et Quyuan préconise de former une alliance contre lui. Mais le roi ne l’écoute pas, et sur le conseil de ministres corrompus, il bannit Quyuan.

Comme Hugo dans son île de Jersey, Quyuan, dans son exil, crée. Il recueille et arrange, compose et rassemble des odes populaires. Son style est une révolution: il s’affranchit du rythme à quatre caractères du Livre des Odes et compose le Lisao dans une métrique libre. Il chante l’amour de son royaume ainsi qu’un doute profond sur son avenir.

Un jour de désespoir, il se promène près de la rivière Milo (pas de bol, Vénus n’était pas là). Il croise un pêcheur, auquel il s’ouvre de sa peine.

« Après qu’il eut été banni, Quyuan se promenait le long d’un fleuve profond, disant sur la rive des poèmes à voix basse. Son visage avait perdu toutes ses couleurs, son corps était maigre et sec.

« Un vieux pêcheur le vit passer et lui demanda: « Excellence, ne seriez-vous pas le Ministre des trois régions? Quelle affaire mène ici vos pas? »

« Quyuan lui répondit: « Le monde entier est plein de boue, moi seul suis pur; le monde entier est soûl, moi seul suis sobre; c’est pour cela que je fus banni. »

« Le vieux pêcheur dit: « Le sage ne se crispe pas aux choses, il sait changer avec le monde. Si le monde est boue, il ne tient qu’à vous d’agiter cette boue et de soulever des vagues. Si le monde est soûl, il ne tient qu’à vous d’en boire la lie. Pourquoi des pensées profondes, pourquoi de hautes actions? N’est-ce pas ainsi que vous vous êtes fait bannir? »

« Quyuan répondit: « On dit que celui qui vient de se laver la tête doit essuyer son chapeau, que celui qui vient de se laver le corps doit secouer ses habits. Dois-je soumettre mon corps pur à la souillure du monde? Plutôt me jeter dans la Xiang, et que l’estomac des poissons me serve de  tombeau! Dois-je soumettre ma blancheur à la poussière du monde?

« Le vieux pêcheur eut un petit rire et commença à taper en rythme avec sa pagaie. Il chanta:

« Quand l’eau de la rivière est claire, ah!
J’y lave mon chapeau.
Quand l’eau de la rivière est trouble, ah!
Je m’y lave les pieds. »

« Là-dessus, il s’en alla sans plus un mot. »

Quelques années plus tard, le cinquième mois de la cinquième lune, Quyuan se jette dans le fleuve, et les habitants jettent à l’eau du riz pour éviter que les poissons ne le dévorent.

Depuis lors, le cinquième jour du cinquième mois lunaire, on confectionne des zongzi (粽子) pour la fête dite des Bateaux-dragons. Ce sont des gâteaux de riz glutineux enveloppé dans une feuille de bambou, comme j’en ai goûté dans le Qinghai au printemps dernier, en souvenir du premier des poètes chinois.

Texte chinois de Sima Qian:
屈原即放, 游于江潭, 行吟泽畔, 颜色憔悴, 形容枯槁。
渔父而问之曰: 《子非三闾大夫与? 何故而至于斯?》
屈原曰: 《举世皆浊我独清, 众人皆醉独醒, 是以见放。》
渔父曰: 《圣人不凝滞于物, 而能与世推移。 世人皆浊, 何不沽其泥而扬其波? 众人皆醉, 何不其糠而啜其醨? 何故深思高举, 自令见放为?》
屈原曰:《 吾闻之, 新沐者必弹冠。 新浴者必振衣。 安能以身之察察, 受物之汶汶者乎? 宁赴湘流, 葬于江鱼之腹中, 安能以皓皓之白, 而蒙世俗之尘埃乎?》
渔父莞尔而笑, 鼓枻而去,
歌曰: 《沧浪之水清兮, 可以濯吾缨, 沧浪之水浊兮, 可以濯吾足》, 遂去, 不复与言。

Cet article a 2 commentaires

  1. Mathieu

    Pour rester dans le domaine pécheur, un Chengyu pour toi: 水漲船高: lorque la mer monte, le bateau monte aussi. 屈原 devra attendre la marée haute pour atteindre les niveaux supérieurs 😉

  2. Anonymous

    Hey, I am checking this blog using the phone and this appears to be kind of odd. Thought you’d wish to know. This is a great write-up nevertheless, did not mess that up.

    – David

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