Lumières sur la scène. Les musiciens font silence. Les deux chiens montent sur scène, brailleurs et débraillés. Ils chauffent leur public, puis Grand frère, jeune et malin, dit qu’il a quatre histoires à raconter: « l’éléphant, le serpent venimeux, la fourmi et les deux chiens ». Petit frère, quadra pas finaud, demande celle de l’éléphant. « Il rêve de deux chiens. » Celle du serpent venimeux? « Il passe sa tête par le trou du mur, et voit quatre yeux de chiens qui le contemplent. » Celle de la fourmi, alors? Grand frère de bondir sur scène: « les chiens l’écrasent comme ça. » Toute la salle rit. Alors Petit frère, bon gré mal gré, avoue qu’il a très envie d’entendre l’histoire des deux chiens.

Je suis à Washington, au Kennedy Center, construit à l’image de l’ambassade des Etats-Unis en Inde – après l’assassinat de JFK, Jackie se rappela que lors de sa visite en Inde il en avait apprécié l’architecture. Blanc, géométrique, un parallélépipède le long des eaux noires de la Potomac. Au dernier étage, on joue « Two Dogs’ Opinions on Life » (两只狗的生活意见).

Dans l’assistance, que des Chinois ou presque; quelques Blancs égarés comme moi, mais qui rient jaune. Au bout de dix minutes, je suis sur le point de haïr (羡慕嫉妒恨!) la petite fille de cinq ans qui, assise sur le rang devant moi, rit à gorge déployée alors que je ne comprends rien. Enfin, ça passe, elle est trop 可爱!

Suivent deux heures de tribulations des deux chiens, et tous les grands thèmes y passent d’une Chine qui se cherche. Quitter son village pour Pékin. Chercher du boulot. Les lettres de maman. L’engouement matérialiste des riches Chinois. La lutte pour être le « grand frère ». L’obésité. Les embouteillages. La sécurité alimentaire. Le système de santé aussi onéreux qu’incompétent. La secrétaire et le patron.

Rien de nouveau sous le soleil, mais vu d’un œil décalé, avec tous les ressorts de la farce: sado-masochisme bon enfant des deux héros – pas d’amitié égale ! -, chansons parodiques, gestuelle graveleuse, épisodes de kung-fu, gros calembours et bon burlesque, et tout est pas si mal qui finit pas si mal.

Je finis sur une immortelle poésie déclamée en cadence, Petit frère répétant après Grand frère, tous deux pleins de nostalgie pour leur village natal:

蓝天,
白云,
大地,
小草。

C’est-à-dire, dans la langue de Molière:

[Là-bas] Bleu est le ciel,
Blancs sont les nuages,
Grande est la terre,
Petite est l’herbe.

Nous touchons là aux cimes éternelles de la littérature universelle. Et en plus c’est rigolo.

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