San Cristobal de Las Casas, une jolie ville du Chiapas, a gardé beaucoup du charme que le Yucatan n’a plus. La province du Chiapas est cataloguée comme « plaisant aux Européens », et c’est vrai qu’on y voit une nature et des ruines Mayas aussi belles, sans devoir jouer des coudes entre les groupes de touristes.

La ville elle-même, capitale provinciale, est nichée à 2300 mètres d’altitude dans une région au relief auvergnat. De son passé colonial – elle porte le nom de son premier évêque, un dominicain – elle a gardé un damier de ruelles pavées que bordent des maisons colorées. Elle a une belle cathédrale et des musées intéressants, et on y boit un café savoureux.

Enfin, San Cristobal n’est pas l’objet de ce message, mais les villages ethniques des collines avoisinantes.

Une fois n’est pas coutume, je m’inscris dans un tour organisé; à 9h30 je suis dans un colectivo avec un groupe de Mexicains. Ce sont les élèves d’une classe de Reiki, une méthode d’imposition des mains.

Il y a deux villages au programme: San Juan Chamula et Zinacantan. Tous deux sont d’ethnie Tzotzil, vaguement catholiques, et sous la protection des lois fédérales sur les minorités.

Organisation sociale à San Juan Chamula

San Juan Chamula ne brille pas par son intérêt architectural, et je suis heureux d’avoir pris un guide de qualité. Of course, il parle en espagnol; quand je ne comprends pas, je pose mes questions en italien et j’essaie d’en démêler quelque chose.

L’organisation politique du village se divise en trois pouvoirs: le civil, le religieux et, au sommet, le traditionnel. La justice est rendue publiquement, un jour par semaine, par un représentant de chaque pouvoir. La richesse de ces collines est d’abord une bonne terre, et celle-ci est répartie par les anciens entre les familles, en fonction de leurs besoins.

Pour obtenir une charge (civile, religieuse ou traditionnelle), il faut être en mesure – si j’ai bien compris – d’assumer un certain nombre de frais associés à son exercice. Une famille va se cotiser sur une dizaine d’années parfois pour que l’un de ses membres occupe, pendant un an, une charge de mayordomo. Rotations annuelles, donc, avec l’ambition d’accéder au sommet de la hiérarchie, le Conseil des Anciens.

Le société est particulièrement fermée sur l’extérieur: les métis doivent s’exiler, de même que ceux qui dévient des canons religieux. Des communautés satellites de se former, ainsi, autour de San Cristobal. Quant à la consanguinité, elle rivalise avec la fine fleur de nos particules versaillaises.

Le nombre trois joue un rôle important. Il y a trois cimetières (San Juan, San Sebastiano et San Pedro). Sur chaque tertre une croix: blanche pour les morts-nés, bleu ou vert d’eau pour les enfants, noire pour les adultes.

Eglise et pratiques

L’église du village est une chose étrange. Selon l’habitude jésuite, ce qu’on y pratique ressemble au catholicisme comme un âne à un poulet.

Sur le parvis, qui est bordé d’un muret peint en turquoise et blanc, les mayordomos mènent un cortège dans un nuage de fumée. Ils foulent au pied un tapis d’épines de pin, bien vertes, et les pétard fusent. Les mayordomos, dans leur habit de fourrure blanche ou noire serré d’une ceinture, palabrent et psalmodient.

La façade de l’église est sobre, blanche à touches turquoise; la procession s’éloigne et j’y pénètre.

Atmosphère intense, très dense. Le rectangle de la nef n’a pas de bancs; il est couvert d’un tapis d’épines de pin. L’ambiance est sombre et pleine de chuchotis. Partout des groupes sont assemblés, comme sur une place de marché.

Ceux qui prient ont dégagé sur la sol un rectangle sans épines de pin; ils y disposent des bougies par rangées de douze. Puis ils font face à l’autel ou à une statue de saint en bois grandeur nature, dans sa cage de verre couverte de pin séché, et psalmodient en langue Tzotzil des incantations monotones, au rythme régulier d’environ deux syllabes par seconde.

Le visage buriné, le regard implorant, des femmes vieillies prient seules, agenouillées, et s’inclinent en mesure. D’autres ont autour d’elles leurs enfants, qui se chamaillent à voix basse. D’autres enfin, et des hommes aussi, consultent le médecin pour connaître la cause du mal qui les frappe, et y remédier.

Le docteur prescrit des sacrifices parmi les cinq suivants: des œufs, du posh (de l’alcool de canne), du Coca ou du Pepsi, des chandelles, et – pour les cas les plus graves – un coq ou une poule.

Près de moi, au pied d’une statue de San Juan, un homme agenouillé aligne huit rangées de douze bougies, plus trois grandes au fond, ce qui fait 99. Il dispose devant lui une bouteille de posh et une de Pepsi. Il en prend une gorgée qu’il crache sur les bougies. Puis un ami sort un poulet (un coq?) d’un sac et le lui tend; l’homme s’en saisit et lui tord le cou; l’ami reprend alors le poulet et le maintient la tête en bas. L’animal s’agite encore pendant une minute, en convulsions d’ampleur constante, puis demeure inerte.

Le même ballet, avec variations, se joue dans dix ou vingt endroits de la nef, baignée de pénombre: les chandelles alignées par terre et devant chacun des saints de saints l’éclairent faiblement.

Et, j’allais oublier, des fleurs partout, des myriades. L’impression de leur amoncellement en corbeilles débordantes est plus forte encore à Zinacantan, où la nef est un feu d’artifice de fleurs blanches.

Je demeure un moment à regarder, dans l’espace de la nef, ces dévotions chuchotantes. Il y peu de choses bien catholiques là-dedans – même les croix, on me l’explique plus tard, sont en fait des croix mayas, et non le souvenir de la Crucifixion: la barre verticale figure la Voie lactée, qu’intercepte, horizontale, la course du soleil.

C’est la deuxième fois dans mes petits voyages que je suis face au résultat des aventures jésuites. La fois dernière, c’était en Chine, dans le Yunnan, près de la frontière birmane, dans un îlot « catholique » de la vallée du Nujiang.

La réalité des pratiques religieuses m’avais semblé plus insaisissable encore, faute d’une bonne maîtrise de la langue, mais un fait était tout aussi manifeste que dans ces villages du Chiapas: la Bonne parole a rejoint les dieux locaux, et s’est dissoute en eux.

Costumes traditionnels

Pour conclure, voici quelques photos d’habitants en costumes traditionnels.

Et comme d’habitude, seules les femmes gardent leur costume; les hommes et les garçons, eux, jouent les modernes.

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