Il est huit heures, un réveil sonne, pas le mien. Je suis délicieusement au chaud – la couverture chauffante diffuse un bien-être doux sous les draps. Air frais dans mes narines, silence total dans la maison.
Je m’habille (façon de parler…), je prends mon sac. Pas de douches il faut s’en douter. Je descends au premier; les toilettes sont au fond d’une terrasse, de plain-pied avec la colline. Francis Cabrel est passé par là. C’est rudimentaire mais propre. Un étage plus bas encore, je pose mon manteau sur une chaise du séjour et laisse mes affaires dessus. Armé de ma polaire, je pars à l’exploration de Chong’an au matin du Nouvel An.
Pas âme qui vive. Les rues jonchées d’enveloppes de pétards semblent couvertes d’un lit de roses. Les premiers stores se lèvent dans l’air frais et dans le chant ininterrompu des coqs.

 

J’avoue que j’ai une idée derrière la tête. Comme qui dirait, retourner à Kaili et poursuivre ma route ne me déplairait pas, si chaleureux que soit l’accueil de mes hôtes. Pourtant, on m’a prévenu que je ne trouverai pas de bus ce matin. Rentrer en stop?
Deux fois de suite je parcours en long la rue principale. Elle dort encore de la fête de la veille au soir. A un épicier qui installe ses cageots devant la porte, j’achète quelques clémentines bien juteuses pour les offrir à mes hôtes. Je croise des gosses qui patrouillent armés de fusils en plastique, comme de petits Palestiniens dans Ramallah.

 

A mon retour, ma petite famille s’est levée. La grande soeur donne la bouillie à son bébé, un des garçons discute avec la mère, l’autre peigne d’un geste rapide ses cheveux humides et pourtant ébouriffés. Tu ne t’es pas lavé la figure, me demande-t-on? Et devant moi on pose une bassine d’eau bien chaude dans laquelle on plonge un linge épais.
Puis c’est l’heure des belles. Mère et fille ont posé un petit miroir sur le comptoir face à la rue; toutes deux se maquillent avec soin. Deux ou trois fois un client s’amène et l’une d’elle s’interrompt quelques instants. Eyeliner, couleurs sur les joues, bâtonnets mystérieux, coiffage minutieux… Comme moi le père les regarde l’air mi-amusé.
Le visage rond et énergique de la mère prend ses couleurs. Les pommettes saillent, vivantes, autour du sourire aux dents bien dessinées. Ses yeux brillent sous la frange de jais. Le visage de sa fille n’irradie pas la même joie; elle prend d’autant plus de soin à parfaire son incarnat. Comme un organiste dose les registres, elle camaïeute le pourtour de ses yeux noirs. Elle demande conseil aussi, ses cils sont-ils bien noirs? Puis elle tire en arrière sa longue chevelure et la tend à l’aide de petites barrettes. Mère et fille cachent mêmement ce flot noir en un chignon bien tassé, élégant chez la mère, propre et net chez la fille.
Ce matin les garçons restent en retrait. Le plus jeune, toujours ébouriffé malgré le peignage, s’allume une cigarette. Nez fin, en trompette qui va chercher timidement, air de témérité cachée, il fait des remarques courtes, esquisse un sourire léger. L’aîné, presque volumineux dans son emmitouflage de faux mouton, parle d’une voix égale et douce. Son visage poupin de garçon trop chouchouté, un peu trop plein, trop mou, suit un rythme tranquille.
La deuxième fille n’est pas là (licence de grasse mat’?). Le père sourit. D’un sourire immense et constant, qui prend tout le bas du visage et courbe symétriquement ses lèvres. Son nez busqué commence bas, ses yeux rient, peu de paroles mais chaleureuses, comme un âtre encastré qui éclairerait la pièce d’ombres dansantes. Visage tanné aux cheveux poivre et sel, visage long, visage extraverti mais à la parole calme.
J’aimerais m’attarder mais je dois rentrer. Après un long petit-déjeuner (après la boussole, l’imprimerie et la poudre à canon, les Chinois ont-ils également inventé le brunch?), je vois passer devant la maison un taxi vert (miracle!), donc couleur de Kaili. Je bondis de ma chaise, la famille m’accompagne. L’instant d’après, ils négocient avec le chauffeur. 50 kuai. Je dis oui.

 

Adieux en coup de vent. La mère rit, les grands yeux de la fille sont responsables, les garçons un pas derrière, le père sourit, gauche. Effusions relatives et absolues. Carnet en poche, je monte avec les autres passagers et le taxi démarre. La nouvelle année peut-elle mieux commencer?(Passer par la case départ pour lire la suite)

 

Vous pouvez accéder aux articles contigus de ce carnet:<< Un Nouvel an dans une famille chinoise (Kaili – Chong’an – Xinzhai)Fauteur de trouble chez les faiseurs de papier (Shiqiao) >>

Laisser un commentaire