Dans le bus pour Leishan, six sympathiques Chinois (à dire très vite !) engagent la conversation. Venus de Canton, ils sont en vacances pour quelques jours, sur le même parcours que moi. A Leishan, ils me proposent de faire route ensemble. C’est parti !
Ils pensent dormir à Baika, village « de minorité » des environs. Ils trouvent une maison de minorité pour nous accueillir. Le père est une sorte de luthier : il taille des lusheng, instrument à vent proche d’une cornemuse sans musette (une corne ?). Un jeu de tuyaux, chacun produisant une note fixe et pouvant être actionné simultanément, souffle une cacophonie insoupçonnée pour sa petite taille. Un genre de Sarkozy.
Le confort sommaire des lieux rebute mes compagnons de voyage. Prétextant d’aller acheter des fruits et légumes [excellente excuse qui me servira par la suite !], puis carrément sur le départ, on se casse. Le père insiste jusqu’au bout pour nous accompagner. Mes compagnons lui promettent qu’ils reviendront demain, comme le roi la reine et le petit prince (sauf que là ils sont six, mais bon…).
A Leishan c’est l’enfer. Pas comme les gens se le représentent, c’est-à-dire comme flammes brûlantes et torture physique, mais tel qu’il est en vrai : froid, vide, sans amour (que c’est beau !). Trois quarts d’heure pour échouer dans un hôtel borgne, le seul qui soit ouvert. Le réceptionniste porte un uniforme de policier ; sa mère tient l’hôtel. Business familial !
En face de l’hôtel, un restau propose la spécialité locale, du 酸鱼汤 (une fondue chinoise au poisson). Le personnel est en vacances, la patronne nous fait la fondue « comme à la maison ». Ce n’est pas mauvais, mais la note et les plats sont également épicés !
Habituels sujets de conversation de mon chinois limité, mais dans une ambiance très chaleureuse. Bien sûr, on me dit que les Français sont romantiques. Pourquoi ? Pour une fois, j’ai une réponse, de Xiao Zhang : parce qu’ils nous surprennent. C’est plutôt moi qui suis surpris.
Après dîner, ayant d’un front commun pesté contre le sel de l’addition, nous jouons aux cartes tous les sept. Miracle, les règles sont simples, surtout psychologiques : le jeu est proche du poker menteur, avec des cartes d’animaux…
On me dit qu’il s’appelle le « cafard allemand », ou quelque chose du genre. On l’aurait inventé en France pendant la Deuxième guerre, me dis-je ? Au voisin de gauche qui passe un carte et en annonce l’animal, on choisit de faire confiance (相信!) ou pas (不信!). Celui qui a tort pose la carte devant lui. Le premier à rassembler quatre figures d’un même animal ou une carte de chacun des huit animaux… a perdu.
L’aspect psychologique est renforcé par une spirale de la défaite : autant au début du jeu la réponse à son voisin est entachée d’aléa, autant celui qui voit devant lui s’amonceler scorpions, cafards, moucherons, araignées, chauves-souris, mouches, rats et grenouilles doit avoir les jetons pour sa maisonnée.
Calculateur, astucieux, spontané, retors, pragmatique, les caractères se révèlent. Ah, comme ça, en France vous avez beaucoup de jeux de cartes ? Eh bien nous, on n’en a qu’un.
Mais il faut avouer qu’il est sympa !
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